REVOLUTION SCIENTIFIQUE

2011

 

Evolution de la stratégie managériale dans les 40 dernières années


Depuis le début des années 1960-1970, il y a une prise de conscience des dimensions humaines dans l’entreprise.


Dès les années 1940, Mayo par ses expériences chez Western Electric avait montré que l’entreprise n’était pas une simple machine et les salariés des  rouages agissant mécaniquement.


Il fallut attendre les années 60 pour que les résultats négatifs de l’organisation scientifique et de l’émiettement des tâches permettent de prendre en compte les aspirations des salariés à l’autonomie, à la responsabilité et à la reconnaissance (A. Maslow, D. McGregor).

P. Drucker, de son coté définit le management par objectifs. Il ne s’agit plus d’imposer par le haut des directives sur la façon de travailler. C’est au manager de fixer les objectifs, les moyens et les résultats à atteindre.

Les équipes « semi-autonomes », la cogestion se mettent en place. Il faut concilier la croissance économique et le progrès social.


Avec les années 80, le Japon montre l’exemple. C’est la découverte du « toyotisme » de Taiichi Ohno. L’organisation du travail repose alors sur une  gestion du « juste à temps ». Le processus de production part de l’aval (vente) vers l’amont (poste de travail) : les délais sont supprimés. On parle de « qualité totale », de « zéro défaut », de « zéro stock ».

En parallèle, aux USA surgit le management participatif faisant appel à l’initiative, l’autonomie, l’esprit d’équipe afin d’encourager les projets de qualité de la part des salariés et de l’encadrement intermédiaire.

Un troisième crédo de cette époque est de développer la « communication » afin de favoriser le « dialogue ».


Les années 90 voient l’arrivée de la mondialisation de l’économie entrainant une vague de restructuration (re enginnering) et de délocalisation des activités, favorisant le management interculturel.

De plus, il y a une reprise en main des entreprises par les actionnaires (corporate governance) associée à des exigences de rentabilité entrainant entre autre la réduction (downsizing) du personnel.


A la fin des années 90, avec le boom d’internet, l’essor apparent de l’économie de l’information et de l’économie en réseau induit le fait que les théories managériales tournent autour  du « knowledge management ».

La gestion du savoir, l’innovation technologique, la veille commerciale (benchmarking) et la gestion des compétences apparaissent comme des éléments clés de la réussite d’une entreprise.


Depuis mi-2005, s’accélère le changement de la forme des organisations. Due à la pression constante de la concurrence, la recherche de la réduction des coûts est omniprésente sur le fonctionnement des structures existantes. Les structures en réseau voient leur justification par une contraction des coûts rendant le recours aux compétences externes plus compétitifs que la « verticalisation » des relations.

Les structures qui s’aplatissent et les structures matricielles qui se développent, ne peuvent réussir que par l’implication des salariés et des managers qui se surpassent.


La culture d’entreprise tend à disparaitre pour faire place à des discours appelant à la « prise en charge individuelle » par la contractualisation des rapports entre l’individu et l’entreprise (exemple : la lettre de mission).

L’entreprise, comme nœud de contrat cherche moins la fidélité aux valeurs que la prestation d’une compétence.


L’entreprise ne procure plus l’emploi mais incite les employés à gérer leur « employabilité », c'est-à-dire la capacité pour un individu de se maintenir à niveau sur le marché.

La structure en réseau permet une adaptation à un marché mouvant.

Les organisations ont tendance à déléguer de plus en plus au niveau du management intermédiaire. Mais les décisions capitales et stratégiques (nomination aux postes clés, gestion des hauts « potentiels », allocation des ressources) relevant de l’univers politique de l’entreprise sont prises par une oligarchie managériale.


Les impacts au niveau des individus et des managers


L'intensification du travail lié à la pression constante de la concurrence évoquée plus haut conduit à une mobilisation intégrale de la personne. En effet, désormais, les compétences requises ne relèvent pas seulement de l’ordre des connaissances techniques et des savoir-faire. Elles impliquent des capacités cognitives et de communication liées aux nouvelles technologies, à l’analyse et à la résolution collective des multiples aléas de la production. De tels changements nécessitent une attention plus soutenue dans l’activité et une implication plus grande dans les rapports de travail.

De même, le décloisonnement et la coordination accrue entre les différents services, la multiplication des réunions collectives, l’attention plus grande portée aux exigences de l’usager ou du client, font que les relations occupent une part importante de l’activité.

L’investissement attendu relève alors au moins autant du savoir-être que du savoir-faire, ce qui engage nécessairement  la personnalité toute entière.

Ce modèle managérial et organisationnel renvoie alors la personne à ses propres limites, à son incapacité à être « excellent », et peut  provoquer potentiellement une atteinte à la mésestime de soi.

Cet investissement total s'accompagne, depuis les années 1980, d'une nouvelle priorité donnée au sein des organisations : la recherche de la «°surperformance°».

L’employé contemporain doit, lui, travailler avec motivation, c’est-à-dire « donner de lui-même » autrement que physiquement. Les organisations développent pour cela des outils de mesure de plus en plus centrés sur la performance individuelle et de court terme, souvent au détriment de la prise en compte de la dynamique collective.



L'absence de marges de manœuvre du management de proximité

La stratégie, à l'origine de la multiplication des changements permanents, impose une rapidité et une réactivité toujours plus importantes. Le problème de la prédominance de la «°stratégie°» est qu’elle a donné une dimension essentiellement verticale à l’organisation du travail : du haut vers le bas (top-down). Les préoccupations et conséquences sur les salariés et agents chargés de l’appliquer sont généralement peu prises en compte.

Deux situations apparemment opposées peuvent alors apparaître dans lesquelles la nature et la richesse du travail fourni sont négligées, et ce pour la même raison : l’organisation projette sur l’individu la mesure du travail et casse – sans doute involontairement – l’approche collective. Dans la première situation, l'organisation est extrêmement normée, et le salarié n’a pas le droit, faute de se le faire reprocher, de dévier des tâches à accomplir les unes derrière les autres. Cette forme d’organisation tend à faire des hommes des machines interchangeables, prévisibles et programmables. Dans la seconde situation, le salarié est au contraire libre de faire comme il l’entend, du moment qu’il en rend compte dans les comptes-rendus (reporting) qui lui sont demandés.

Le manager de proximité est démuni pour faire face à ces situations. Il l'est également pour accompagner les mutations qu'on lui demande de faire passer auprès de ses collaborateurs. Ce n'est d'ailleurs pas tant le changement lui-même qui est perturbateur, que la perte de repères liée au changement et qui crée un climat anxiogène.


L'humain, simple ressource ?

L'individualisation à l’extrême du travail, de la performance et de l'évaluation contribue à déshumaniser le monde du travail, et à signer la fin du collectif. Pour endiguer cette perception négative, les entreprises se sentent souvent obligées de se parer d’atours sympathiques, de créer de la convivialité artificielle afin de gommer cette réalité («°grandes messes°» corporate destinées à «°donner du sens°» en mettant en scène « les valeurs » de l’entreprise, séminaires de motivation interne, utilisant des méthodes de psychologie comportementale, des mises en situation, jeu de rôle…).


Au final, et au-delà des repères traditionnels déjà évoqués, c'est le sens même du travail qui se brouille jusqu’à disparaître. La logique d'«°emploi°», qui sous-entend une possibilité accrue de changer de poste et de fonction, a remplacé la logique plus stable et sécurisante de «°métier°». Dans le même temps, le management par objectifs et l’évaluation permanente ont souvent pour conséquence de supprimer la relation nécessaire entre le travail bien fait et la reconnaissance qu’on peut en attendre, puisque ce n’est justement plus cela qui est attendu ou exigé par l’entreprise. L’organisation matricée complexifie encore davantage cette évaluation°: ce n’est pas celui qui vous manage quotidiennement qui vous évalue. Au final, le travail perd ainsi sa notion d’œuvre°: il échappe instantanément à son auteur.


L’évolution décrite ci-dessus se traduit par beaucoup d’énergie dépensée par le salarié en ce qui concerne la gestion de leur carrière au quotidien. Cela va de pair avec une apathie politique, un certain désengagement au destin politique de l’entreprise.


Les nouvelles technologies bouleversent les conditions de travail


Durant ces 30 dernières années sont apparus le micro-ordinateur, les logiciels, Internet, les courriers électroniques, les réseaux et plateformes d’échanges…

Autant d’avancées qui sont, très certainement, à la source de changements plus importants encore de notre manière de travailler, que ceux que nous avions connus avant l’ère numérique.

Les nouvelles technologies sont synonymes d’autonomie accrue et de liberté d'action. Un impact qui se caractérise notamment par une plus grande délégation du travail, avec la possibilité pour les salariés de s’organiser eux-mêmes. Enfin, elles permettent un suivi en temps réel de l’activité, ce qui a incontestablement un avantage pour les managers.


Un usage excessif de ces nouveaux outils

L'un des effets des nouvelles technologies, celui de favoriser une plus grande transparence et une information de tous en «°temps réel°», est, en lui-même, générateur de stress dans l’insécurité que cela provoque.

Un autre effet pervers des nouvelles technologies est paradoxalement de limiter l'échange. Le mail dépersonnalise les échanges au détriment des relations de face à face. Le dosage entre l’oral et l’écrit, la proximité et la distance, le formel et l’informel, n'est plus maîtrisé.


Une déformation des temps

Les nouvelles technologies renforcent la culture de l’urgence, elle-même encouragée par les nouvelles organisations du travail. On passe alors de l'urgence à l’instantanéité et à l’immédiateté.

Or, paradoxalement, cette «°culture°»  fortement consommatrice de temps est une entrave à la priorisation réfléchie des tâches (par quoi commencer si tout est urgent ?). D'autre part, et ce point est essentiel, parce que la qualité ne se mesure en réalité jamais en temps réel. Le temps réel dans le monde de l’entreprise aboutit à une déformation de la réalité. De ce fait, il peut entraîner potentiellement de graves erreurs d’analyse et des actions irrationnelles.

Autrement dit, les nouvelles technologies utilisées comme instruments de «°contrôle qualité°» s'attachent en réalité davantage au contrôle de la tâche effectuée, qu'à la qualité du travail produit.

Dans le même temps, le temps de la vie privée et celui de la vie professionnelle subissent un entrecroisement particulièrement préjudiciable à la personne. Déformés par l’urgence, ces temps se confondent désormais plus qu’ils ne s’additionnent. Désormais, certains salariés s’auto-investissent d’une mission de suivi de leur activité professionnelle y compris hors du lieu de travail (répondre à un e-mail professionnel à 23h, de se sentir obligé de boucler un dossier le week-end). Paradoxalement, le temps de travail a baissé, mais le travail est de plus en plus obsédant, au détriment de la qualité de la vie privée et notamment, du temps consacré à sa famille et à ses proches.


Des technologies plus subies que maîtrisées

En réalité, ce n’est pas l’outil numérique en lui-même qui crée la souffrance, c’est l’organisation du travail qui est associée à l’usage de ces outils qui est à la source du mal-être.

La souffrance provient donc d’usages non appropriés ou non maîtrisés de la technologie et non pas de la technologie en tant que telle.

La fracture numérique, en partie générationnelle ne s’est pas substituée à la fracture sociale, elle s'y est ajoutée.

On estime qu’il est désormais nécessaire d’acquérir de nouvelles compétences techniques en moyenne une fois tous les 4 ans. Au bout de 20 ans de vie professionnelle, cela peut devenir de plus en plus difficile en raison d’une moindre plasticité cognitive.

Extrait du Mémoire de DU Coaching (IAE Toulouse) de M. Alain LEROUX


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